G. Quin: L’Odyssée du sport universitaire lausannois

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Titel
L’Odyssée du sport universitaire lausannois.


Autor(en)
Quin, Grégory
Erschienen
Paris 2016: Éditions Glyphe
von
Philippe Vonnard

En 1922, le recteur de l’Université de Lausanne indique à la Gazette de Lausanne: «Un de mes vénérés collègues à l’Université […] me tenait un jour ce propos : ‹Ce garçon ne doit pas être très intelligent, il ne manque jamais un de mes cours». Cette citation n’est pas issue d’une réflexion sur la liberté académique, mais provient d’un ouvrage publié en 2016 aux éditions Glyphes – avec le soutien de l’Université de Lausanne – intitulé L’Odyssée du sport universitaire lausannois.

La tâche que s’est assignée l’auteur, l’historien Grégory Quin, n’est pas aisée. En effet, il s’agit de retracer la manière dont les pratiques sportives se sont développées, pratiquement et théoriquement, au sein de l’Alma mater de la capitale vaudoise. Le peu de littérature existant sur le sujet rend la tâche délicate et confère assurément à l’ouvrage le statut de pionnier. Mais c’est aussi la diversité de l’objet d’étude qu’il faut souligner ici. Aborder le sport universitaire c’est, en premier lieu, traiter du cas des pratiques sportives, à savoir la manière dont l’offre sportive s’est progressivement développée pour les membres de la communauté universitaires au sens large du terme. Néanmoins, le cas du sport universitaire ne se limite pas à ces actions et c’est fort justement que Grégory Quin aborde aussi la question de la formation des maîtres d’éducation physique. En effet, à partir des années 1970, l’UNIL se profile progressivement comme un lieu central et propose un cursus de plus en plus varié aux futurs enseignants en alliant à la fois les cours pratiques à ceux théoriques. Enfin, le dernier volet traité est celui de l’«universitarisation» des sports, symbolisé par la création, au milieu des années 2000, d’un institut de recherche en science du sport, en l’occurrence l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (ISSUL). Par ailleurs, le fait que l’auteur ait choisi de retracer ces différents processus sur le long terme est un exercice périlleux car le travail historique nécessite de les replacer dans le contexte du développement des pratiques sportives en Suisse ainsi que de tenir compte des transformations des législations cantonales et fédérales en matière de politique sportive. Tout un programme en somme qui, autant le dire tout de suite nous paraît fort réussi.

Grégory Quin a divisé son Odyssée en quatre parties: 1890-1941 («Avant l’institution») ; 1941-1973 («Les premiers pas d’une ‹ institution») ; 1973-1991 («Le tournant de la modernité sportive») et 1991-2016 («Les sports universitaires face aux enjeux du sport-santé»). Celles-ci sont précédées par un prologue qui revient brièvement sur les débuts du sport en Suisse, et d’une cinquième partie («Poursuivre sur la route du succès») qui peut être considérée comme un épilogue, car elle aborde les futurs chantiers du sport à l’UNIL. Si la trame du récit suit un découpage chronologique, au sein de chaque partie, l’auteur aborde plus précisément quatre enjeux: le développement des infrastructures et de l’offre sportive; le rôle de l’UNIL dans la formation des maîtres d’éducation physique; l’aspect compétitif du sport universitaire ainsi que le sport comme objet de connaissance. Tout au long du récit, de brefs encadrés biographiques permettent au lecteur de davantage se familiariser avec les principaux acteurs de la structuration des sports universitaires.

Outre son originalité, l’une des forces de cette passionnante lecture est assurément qu’elle est construite à partir d’un riche corpus de sources. En effet, Grégory Quin a mobilisé plusieurs fonds d’archives inexplorés de l’UNIL qu’il a croisé avec des documents issus des Archives cantonales vaudoises, de la Ville de Lausanne ainsi que de la Fédération suisse du sport universitaire. Pour les parties plus récentes, l’auteur n’a pas hésité à faire appel à la mémoire d’une vingtaine d’intervenants qui ont directement participé à la vie du campus sportif de Dorigny. Travaillant sur l’histoire du sport en Suisse depuis quelques années, l’auteur bénéficie d’une grande connaissance de la littérature secondaire concernant ce sujet et s’est également attelé, fait à souligner, à mobiliser plusieurs mémoires de fin d’études d’étudiants. Enfin, signalons que Grégory Quin a mis à disposition du lecteur de nombreuses illustrations (photos, brochures, graphiques, plans), qu’il n’hésite pas à commenter et qui alimentent judicieusement le propos.

Au sujet des critiques, nous pouvons souligner deux points en particulier. Premièrement, les parties quatre et cinq ont, parfois, tendance à donner un peu trop la parole aux personnes ayant participé aux transformations sans que celle-ci soit commentée. Si la démarche est légitime, il aurait été intéressant de davantage questionner la conception du sport de ces interlocuteurs (comme l’auteur l’a fait pour les acteurs des périodes précédentes). Un exemple pris au hasard: la pratique du yoga proposée, depuis les années 2000, au plus grand nombre. Or, certains maîtres de la pratique n’hésitent pas à indiquer qu’elle n’est tout bonnement pas adaptée au sport de masse car chacun doit y trouver sa propre voie, vision qui correspond in fine à la conception philosophique du yoga. Il n’est pas à nous de juger de cette affirmation. Toutefois, ce point a le mérite de souligner que des questionnements peuvent être posés sur la manière dont le sport est proposé sur le campus universitaire et les objectifs poursuivis par les maîtres des lieux. Deuxièmement, il aurait été intéressant, en certaines circonstances, de davantage insister sur les rapports de force qui existent au sein de l’institution. Il ne s’agit bien évidemment pas de juger les actions d’un tel ou d’un tel, mais les rapports de force sont intéressants, surtout lors d’une étude institutionnelle comme c’est le cas ici. En effet, ces derniers révèlent les transmissions générationnelles ainsi que les nouveaux enjeux découlant des transformations du champ sportif, voire plus largement de la société dans laquelle celui-ci se structure.

Malgré ces bémols, cette étude ouvre de nouvelles perspectives sur l’histoire du sport en Suisse. Cet ouvrage constitue bien une preuve que les pratiques sportives sont le théâtre d’innombrables échanges et de rencontres entre des acteurs très différents de la société civile et, qu’à ce titre, elles devraient être davantage prises en compte dans les études actuellement en vogue sur les élites du pays. De même, il souligne tout l’inté rêt de l’étude du domaine sportif comme porte d’entrée pour saisir plus globalement les transformations de la société helvétique. Si un historien suisse reconnu disait récemment, lors d’une conférence: «Il y a beaucoup à dire à partir d’une paire de chaussures», gageons que cette affirmation vaut allègrement au sujet d’une salle de gymnastique…

Zitierweise:
Philippe Vonnard: Grégory QUIN: L’Odyssée du sport universitaire lausannois, Paris: Glyphes, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 273-272.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 273-272.

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